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Histoire d'ongles

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EloreCohlt's avatar
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Je me souviens de la chambre d'hôtel, de son papier peint fleuri, du lit à deux places qui nous paraissait immense à l'époque, de la vue sur les autres fenêtres. Je me souviens du rire de mon cousin alors que nous découvrions notre royaume de trois jours. Je riais aussi, heureuse parce que c'était lui, parce que mon oncle et mon père veillaient sur nous, parce que Paris nous accueillait à bras ouverts alors que nous venions seulement d'arriver. Si nous ne voyions pas le ciel depuis la cour, ce n'était pas important : le ciel était partout, dans la chambre comme ailleurs, ciel d'une ville immense dans laquelle nous allions avoir le délice de nous perdre.

Je me souviens de la maison du rire qui m'effrayait tant, je me souviens des artistes peignant dans la rue, des trampolines dans les jardins, des touristes. Je me souviens du rire de mon père, des jeux stupides auxquels seul mon cousin et moi-même nous autorisions à jouer, jeux qui nous plongeaient dans une hilarité qui conférait à la folie. Je me souviens de la salle de bain de ma chambre, de l'évier dans lequel on fit couler de l'eau chaude.

Je me souviens, c'était l'annulaire de ma main droite. Il sentait la mort et quelque chose de bleu s'était formé à la base de l'ongle.

Je me souviens d'une main enserrant mon poignet, de ma main plongée sous l'eau. Je me souviens du ton si anxieux de mon père, je me souviens de la pince.

- Tu es prête ?

J'ai dû hocher la tête, sans doute.

Je me souviens de l'ongle se détachant du doigt, formant un triangle rectangle avec cette parcelle de peau, si douce, si sensible. Je me souviens avoir serré les dents, et puis...

Plus rien. L'ongle était arraché, et avec lui cette chose qui les inquiétaient tant mais...

Je ne me souviens ni de la douleur, ni du sang. En silence j'ai replié ma main et l'ai porté devant mes yeux, admirant ce carré de peau nu et blanc, mis à découvert par le schisme.

Je me souviens que ces trois jours de paradis, à Paris, je les ai eu. Je me souviens que je suis rentrée avec le sourire, fière d'avoir éliminé le mal. L'ongle repoussa, couvrant l'indécente partie de peau qui ne devait pas être découverte. Je me souviens de ma légère peur alors que la pince agrippait le sommet de mon doigt. Je me souviens de tout, sauf de la douleur.

J'avais dix ans alors, et mon doigt portait la mort dans son ventre.
Il s'agit d'un souvenir si précis que je suis convaincu qu'il est réel. Et comme cet instant m'est extraordinaire, j'ai souhaité le partager avec vous.

Bonne lecture. :)

Soundtrack : Tchaikosky - Arabian Dances
Comments7
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Ninefiftin's avatar
Moi, les histoires d'ongles, ça me traumatise... j'ai eu des frissons partout haha. Mais j'aime cette atmosphère feutrée de souvenir d'enfance... c'est très bien raconté encore une fois, et dans ce texte comme dans le dernier, je sens chez toi quelque chose de plus posé qu'avant. Je trouve aussi qu'avec le fofo tu as vachement progressé, tu as gagné en finesse et en nuances je trouve... c'est toujours un plaisir de te lire !