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66. Snow ~ Le Pacte, troisieme partie

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EloreCohlt's avatar
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Les montagnes seront ma nouvelle demeure, si tu veux m’y trouver il faudra que tu t’y rendes. La sentence était resté imprimée dans mon esprit, accompagnée du souvenir de la baie vitrée éclatée, des formes sombres et jappantes dans la nuit. Le lendemain, on crut à un cambriolage et je ne dis rien. Officiellement, je dormais auprès de ma femme et mes enfants. Officiellement, je n’avais rien à voir avec tout cela. La détermination pourtant si forte que j’avais ressenti s’était évanouie avec l’aube.

Je ne me rendis pas dans les Montagnes. J’aurais pu le faire pourtant, mais c’était comme si ma volonté avait disparu. Ma condition n’était pas si terrible, mon mal n’en était peut-être pas un. Je relativisai donc, faisant des mois durant comme s’il n’en était rien. Mais depuis mon bureau, la vue des sommets était inévitable. À chaque fois que mon regard les effleurait, les mots de la fugitive se répercutaient entre les parois de mon crâne.

Les montagnes seront ma nouvelle demeure, si tu veux m’y trouver il faudra que tu t’y rendes.

Peut-être avait-elle été attrapée. Peut-être ne m’attendait-elle plus. Je tentais de me le répéter pour éviter de devoir m’y rendre, conscient que je risquais de m’y attirer des ennuis qui me dépasseraient, me submergeraient. Je tentai d’ignorer son Appel, en vain.

Il y eut Rupture.

Le mot fut passé, l’absence gérée. Le Boss voulait sa semaine, personne ne pouvait l’en empêcher. Trouver une raison à ma famille fut plus compliqué, mais cela se fit : j’étais déterminé. Pour eux, j’étais en voyage d’affaires. Pour l’entreprise, quelque part en bord de mer. Ni l’un ni l’autre ne connaissaient ma véritable destination. Et c’était sans doute mieux ainsi : je ne partais pas forcément avec l’intention que l’on me retrouve.

Les Montagnes, situées au nord de la cité, étaient si sauvages que personne n’y vivait. Ou plutôt, un nombre insignifiants d’ermites et autres reclus. J’ai pris les transports en commun jusqu’au terminus, près du versant. Mais je n’ai pas suivi le chemin forestier. Au contraire, j’ai coupé à travers les bois.

Je savais que Mitsuko ne se montrerait à moi que si je restais seul.

Les jours passèrent. Bien que je ne sois pas habitué à la vie au grand air, trouver mes repères ne me fut pas difficile. J’avais une tente, un réchaud, des provisions et un téléphone que je n’allumais jamais. Je me sentais hors du monde. Étrangement, cela me suffisait.

Un soir, il plut beaucoup. Je n’aurais su dire lequel, je commençais à perdre le compte du temps. La pluie était trop forte, je décidai de troquer ma tente pour une caverne. Lorsqu’en j’en trouvai enfin une, je m’y écroulai et frissonnai tout le temps que dura mon sommeil. Ce fut une flamme qui me réveilla, une petite flamme vacillante qui dansait devant mes yeux.

- Tiens, tu t’es réveillé.

Le ton plus que la voix m’était familier. Me redressant, je parvins à m’asseoir et, à la lueur d’une lanterne qu’elle devait sans doute avoir apporté, fixai Mitsuko dans les yeux. La peau de son visage avait pâli, s’était creusée et son sourire s’était nimbé de fatigue. Je voulus lui répondre mais une quinte de toux m’en empêcha.

- Là, là, fit-elle en m’ébouriffant le haut du crâne. Tu as bien failli attraper la fièvre ce soir.

- Je suis arrivé ? Ai-je fini par réussir à lui demander, d'une voix pâteuse. Un éclat tendre passa dans son regard.

- Non. Plus haut.

Un éclat grave passa dans son regard.

- Et je t’attends. Dépêche-toi.

Sur ces mots, une grande vague de fatigue m’envahit et je me rendormis. Lorsque je me réveillai, j’étais seul.

Je repris mon ascension.

Je n’avais aucune idée de comment la chercher, où la trouver. Mais je ne me décourageai pas, m’enfonçant sans crainte à travers une nature de plus en plus sauvage, de plus en plus hostile. Sur mon chemin, les arbres se resserraient, la forêt se faisait dense et le relief escarpé. Mais je montais, je ne cessais de monter. J’avais avec moi de quoi survivre encore quelques jours, même si je mangeais moins. Mes pensées, au fur et à mesure que je croyais m’approcher, se faisaient de moins en moins complexes, je devenais Animal motivé par la poursuite d’une femme-enfant inhumaine.

À plusieurs reprises, je crus percevoir autour de moi la présence d’Autres. Leurs ombres parfois semblaient filer contre la toile de ma tente mais jamais ils ne s’arrêtèrent. Eux aussi la cherchaient, je pouvais le sentir, le deviner.

Il y eut encore une nuit, une aube et un crépuscule. Alors que s’achevaient deux semaines dans la ville, je découvris sa demeure.

C’était un temple désaffecté, entouré de lanternes et de carillons qui tintaient dans le vent. Passant la porte entrouverte, je la trouvai allongée, sommeillant au milieu d’un océan de bougies allumées. Elle ouvrit les yeux alors que je posai mon sac au sol, m’adressa un sourire ensommeillé.

- Je savais que tu finirais par venir.

- Je ne le voulais pas.

Elle se releva, sembla hésiter sur l’attitude à avoir puis finit par hausser les épaules, désignant la paillasse en face de la sienne.

- Viens t’asseoir.

Je m’exécutai, tentant de n’éteindre aucune bougie sur mon passage. Elle me fixa quelques instants, secoua la tête. Elle était pareille que dans ma vision, bien plus démunie que lorsque nous avions conclu le Pacte. Pourtant je n'hésitai pas.

- Tu m’as menti.

Je l’accusai sans même vraiment être en colère et elle ne cilla pas, sans doute aussi lasse que moi.

- Je ne vois pas en quoi. Me répondit-elle d’une voix posée. Elle baissa les yeux, contemplant la lueur de trois flammes vacillantes entre nous. Quant à moi, j’étais incapable de me détacher de son visage, de ses cils rendus immenses par la pénombre. Je cherchai son regard en vain. Elle refusait de me regarder.

Alors que je voulais protester, elle reprit :

- Je t’ai donné tout ce que tu m’avais demandé. Emploi, amour, argent, reconnaissance. Tout. Sans exception.

Il y eut un frémissement parmi les flammèches, comme un petit courant. Je sentis mes poings se crisper, des larmes vaines rouler le long de mes joues. J’étais fatigué, tellement fatigué.

Elle replongea son regard dans le mien, et la puissance de la colère qui y vibrait me paralysa. Je restai immobile, oubliant même de respirer alors que ses yeux happaient les miens, nous clouant l’un à l’autre.

- Réfléchis trois secondes, Aaron. Je sais très bien que tu n’en dors pas la nuit, que tu as honte de ne pas être heureux. Mais je n’y suis pour rien. Je n’ai fait que t’offrir ce que tu m’as demandé.

- Tu m’as pris mon coeur !!

Cela avait été plus fort que moi, j’avais hurlé comme un animal blessé.

Surprise sans doute que je me débatte, elle se figea. Je continuais de pleurer sans bruit, sans même le sentir, malade d’être encore un raté, de n’avoir jamais changé.

- Tu me l’as dit pourtant, que je pourrais être heureux sans... alors pourquoi est-ce que je ne le suis pas ? Pourquoi est-ce que mes émotions sont devenues aussi faibles ?

Il y eut un silence lourd, ponctué par le son des clochettes. Puis, le visage marqué d’une expression honteuse que je ne lui connaissais pas, Mitsuko passa les bras autour d’elle-même. Elle frissonna, baissa les yeux.

- Parce que le coeur est siège des émotions, voilà pourquoi. Parce qu'on a rien sans rien, que ta demande ne pouvait avoir... qu'un prix élevé.

Sa voix était éteinte. Devant son expression, ses tremblements, je ne parvins plus à m’énerver. Embarrassé, je détournai le regard, voulus stupidement changer de sujet.

- Pourquoi tant de bougies ?

- La lumière me nourrit.

Elle avait évacué la question comme si sa réponse était on ne peut plus ordinaire. Et je ne répondis rien, incapable de savoir comment réagir. Et à nouveau le silence s’établit, à nouveau le vide se fit entre nous. Pris dans mes pensées rudimentaires et blessées, je sursautai lorsque sa voix résonna à nouveau.

- J’ai froid.

- Moi aussi.

Elle sourit, se leva en chancelant.

- Attends-moi là.

Elle disparut à l’arrière de la salle, revint une minute plus tard les bras chargés de couvertures.

- Je te propose qu’on dorme. On reparlera de tout ça demain.

Je hochai tout d’abord la tête, m’emparant de l’épais drap qu’elle me tendait. Bien qu’à l’abandon, les lieux ne semblaient pas insalubre. Il s’en dégageait juste une tristesse latente, qui s’infiltrait sous le crâne comme pour mieux coller à l'âme.

Elle voulut s’allonger, s’étonna que je ne fasse pas de même. En silence, j’allai m’asseoir dos à l’autel près duquel nous nous trouvions, faisant ainsi face aux imposantes portes d’entrée.

- Qu’est-ce que tu fais ?

- Je surveille.

Elle sembla surprise, puis de la reconnaissance illumina ses prunelles. Elle renifla, tout aussi pathétique que je l’étais. Puis, sans rien dire, elle trotta vers moi et vint s’asseoir à mes côtés. À cet instant, elle n’avait plus rien de la femme que je croyais qu'elle était.

- Bonne nuit, Aaron.

- Bonne nuit, Mitsuko.

Elle eut un geste et une partie des bougies qui nous entouraient s’éteignirent. Les minutes défilèrent, paisibles comme l’Océan après la tempête.

Puis un dernier échange.

- Je suis désolée. Je croyais que tu pourrais être heureux sans un coeur.

Je pris mon temps pour murmurer en retour :

- C’est pas grave.

Son corps menu vint se blottir contre mon flanc. Elle répliqua :

- Certaines choses sont taboues, dans mon milieu. Interdites. Les clauses de notre Pacte en font partie.

- Parce que ce n’est pas juste ?

- Parce que cela ne se fait pas.

Un temps.

- C’est pour ça que tu es poursuivie ?

Je crus qu’elle n’allait pas me répondre.

- ... oui.

Un hibou hulula, à l’extérieur. Elle sembla en sourire.

- Tu es courageuse.

- Et toi, tu es stupide.

Sa voix se fana, sa respiration se modifia. Elle s’était endormie. Je finis par faire de même, longtemps après.

Quand je me réveillai, elle était dans mes bras.
Et l'aventure se poursuit, les relations se modifient sans cesse. 

J'espère pouvoir publier la suite du Pacte bientôt, si mon emploi du temps me le permet. En attendant, je vous souhaite une bonne lecture.

Le prochain thème : Drum.
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KhanPourchasse's avatar
"je devenais Animal motivé par la poursuite d’une femme-enfant inhumaine" : c'est bon ça !